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Publication! « Que la vie vole en éclats, mais de couleurs » dans le recueil du Concours de la Nouvelle George Sand

Quel honneur ! Le concours international de la Nouvelle George Sand, parmi les 410 textes reçus, en a sélectionné onze. Je figure parmi les chanceuses, avec le texte « Que la vie vole en éclats, mais de couleurs ».

Le thème de l’édition 2021 était « Grain de sable » et le recueil vient de paraître aux éditions de l’Harmattan:


Je ne saurais que trop le conseiller, les textes sont de grande qualité. Le recueil est disponible sur toutes les plateformes, à lire sans modération donc ! Ci-dessous, ma nouvelle!


Que la vie vole en éclats, mais de couleurs
1.       
C’est un vrai cabinet de docteur. Des appareils obscurs, froids, un écran d’ordinateur trônant sur un bureau jonché de dossiers. Au mur, un tableau avec des triangles et des ronds fades qui ne veulent rien dire. La dame discute avec maman et c’est plein de mots trop compliqués, des mots qui la regardent de haut, tels que « neuropsychologue » et « dysorthographie », avec, c’est sûr, tout plein de ces « h » traitreusement cachés qui la tourmentent à l’école.
La docteure n’est pas comme maman. Ses cheveux sont bien coiffés, il n’y en a pas un qui dépasse. Elle est mince, grande et ses habits ont l’air d’être tout neufs. C’est comme les dames sur les couvertures des magazines de la salle d’attente. En fait, elle ressemble aux mots très compliqués qu’elle emploie. Ses yeux sont pareils à ceux de Louna à l’école quand elle lève la main pour donner la bonne réponse. Et dans Louna il y a « Na ! » comme un pied de nez à ce qu’elle, Charlotte, ne sait pas faire. Charlotte n’aime pas cette dame.
–          Comment ça se passe en classe, ma grande ?
Menteuse. Charlotte est toute petite et elle le sait. Elle ne dit rien parce que sinon elle va encore se tromper. À l’école, tout le monde l’appelle « l’autiste ». Elle ne sait pas ce que ça veut dire, mais ça lui fait penser à « otite » et « eau triste » mélangés et ça n’annonce rien de bon. Comme maman la presse de répondre, elle dit que ça va, c’est tout. La dame sourit d’un air entendu et ses doigts se mettent à filer sur le clavier. L’école, c’est terrible, surtout en français parce qu’il faut écrire beaucoup et que les mots ne se laissent jamais faire. Comme la maîtresse trouve « mignon » ce qu’elle écrit, elle lit parfois son cahier aux autres:
–          « Salle de pains », vous n’imaginez pas une baignoire remplie de baguettes croustillantes ? Adorable !
Ou encore :
–          « Bégayer l’atmosphère » ! « P-h », Charlotte, « p-h » ! Et voici que l’air tremblote soudain sous nos yeux ! Comme c’est charmant ! Et celle-ci encore : « Au caillou » pour « au cas où » !
Et toujours, deux ou trois têtes se retournent et dans leurs yeux elle voit les moqueries qu’elle entendra à la récréation.
La dame demande si tout va bien à la maison. Maman répond « oui oui » mais sous la table, Charlotte voit ses mains se tortiller comme les nœuds de serpents dans les documentaires.
–          Il faut envisager le trouble du spectre autistique.
Elle a un spectre? La chaise de maman est loin, elle ne peut pas se serrer contre elle. Soudain elle a froid et c’est exactement comme dans le film à la télé que papa regardait : quand les fantômes arrivent, l’air devient glacial. Le clavier n’arrête pas de cliqueter, la dame pose des questions et lui tend des papiers sur lesquels il faut lire et cocher des choses et donner une réponse et dessiner des formes et en reproduire d’autres et c’est long c’est long elle va se tromper alors elle n’écrit pas droit et les méchantes lettres tourbillonnent ! Elle a très envie de faire pipi soudain, alors elle serre les cuisses parce que maman l’encourage. La dame continue à prononcer des mots inconnus : elle a des plaies au nasme ? C’est beaucoup, dix gressions ? Invasions barbares ! Tout se brouille : barre, barre, moussaillon à la barbe à rat ! Que de barbarismes… Il y a de l’espoir, dit la docteure, mais pourquoi est-ce poire et pas pomme ? S, P, rance… Pomme moisie ? Et sur la feuille, l’encre cafouille et se répand en étoiles d’araignée, le stylo tombe… Et Charlotte se rend compte qu’elle est mouillée. Maman se confond en excuses.
La dame finit par regarder la petite avec un drôle d’air, comme Louna quand elle tombe sur un calcul compliqué. Puis le sourire revient mais c’est un faux, un sourire-tapisserie qui recouvre un mur pas beau. Elle dit :
–          Il ne faut pas t’inquiéter Charlotte, ce n’est pas grave. Je suis là pour t’aider. Tu vois, c’est comme s’il y avait un tout petit grain de sable dans ton cerveau. Moi, je suis là pour le trouver. Ensemble on va réussir à l’enlever et après tout ira mieux.
Alors ils ont raison à l’école. Elle a un grain. Elle n’ose même pas penser à la façon dont la dame va fouiller dans sa tête pour le lui enlever. Comme les docteurs à l’hôpital qu’elle a vus à la télé ? Elle murmure :
–          Maman, je veux rentrer.
 
2.       
            Ça se passe pendant le dîner, comme d’habitude. Charlotte fait rouler ses petits pois dans son assiette. Il y en a un qui se retrouve tout seul, à l’écart des autres alors elle le mange en premier puis elle recommence, lorsque le ton de papa change :
–          Tu me provoques ?
Le tintement des couverts de maman s’arrête.
–          Tu veux me pousser à bout, c’est ça ?
Les fantômes viennent d’entrer dans la maison.
–          Va dans ta chambre, Charlotte, souffle maman.
Elle laisse tomber sa fourchette à côté du pois qu’elle vient d’isoler. La porte claque sur le mot « pute » qui ressemble aux crachats que certaines grandes personnes jettent sur le trottoir : « put » « put « put ». Maintenant, les mots ont perdu leurs contours. Tant mieux. Elle voudrait que l’orage (ou la rage ?) cesse mais le ton monte. Elle a envie de faire pipi.
            Il faut passer devant la cuisine pour aller aux toilettes. Au retour, son corps se fige dans l’embrasure de la porte. Ils sont debout maintenant. Elle ne voit que d’un œil, le corps coupé en deux dans la longueur par le chambranle de la porte : comme ça, elle est à moitié protégée. Avant ils se disputaient moins, maintenant c’est presque tous les jours. Peut-être que c’est la faute de son grain. Papa saisit la carafe et la lève au-dessus de sa tête. Des gouttes volent et scintillent avant de s’écraser par terre.
–          Pas devant la petite, balbutie maman en l’apercevant.
 Ils viennent chacun à leur tour lui souhaiter bonne nuit. Charlotte voit qu’ils ont tous les deux du rouge dans les yeux : chez papa ça fait comme de touts petits éclairs qui strient le blanc, chez maman, ça déborde sur les paupières et sur le nez. Il dit qu’il l’aime et qu’il aime aussi sa maman même si elle fait tout pour l’énerver. Maman, elle, dit qu’il ne faut pas s’inquiéter, que ça arrive et que ça ne dure jamais qu’un moment. Mot ment. Les mots ne disent pas la vérité. Maman lui fait un câlin, elle tremble de plus en plus au fil des jours, c’est comme si c’était Charlotte qui devait la serrer pour la consoler. Ma ment. 
La lumière s’éteint. Charlotte pense au chien qu’elles ont croisé tout à l’heure à la sortie du supermarché. Il tirait de toutes ses forces sur sa laisse accrochée aux caddies. Il lui a demandé de l’emmener avec ses yeux. Maman n’a pas voulu : « Quelle idée ! Allez viens ! » Et elle a tiré sur le bras de Charlotte comme le chien sur sa laisse. Il lui a lancé un aboiement plaintif. Son pelage roux avait l’air doux et son regard débordait de tendresse et de déception.
 
3.       
Il s’est passé quelque chose d’extraordinaire à l’école. Charlotte n’en revient toujours pas. Elle mange sa purée et chaque fourchetée à un goût inhabituel de champs dorés par le soleil. Quand papa attaque maman, ce soir, et qu’elle doit filer dans sa chambre, c’est moins grave parce que le petit soleil est toujours dans sa bouche. Elle l’avale et il remonte dans sa tête. Elle sait qu’elle va pouvoir s’y réchauffer.
            C’était mardi dernier. La classe lisait un texte farci de phrases loups-phoques avec un garçon des fourmis plein les jambes et qui posait des lapins. N’importe quoi ! La maîtresse est arrivée en poussant devant elle un nouveau, les mains bien accrochées aux lanières du cartable qu’il portait sur son dos. Il avait des lunettes rondes. Ça lui grossissait les yeux.
–          Tu peux te présenter ? a demandé la maîtresse avec douceur.
Mais le garçon n’a pas pipé mot. Le cœur de Charlotte s’est mis à battre un peu plus fort.
–          Comment tu t’appelles ? a renchéri Hugo qui n’avait jamais de langue dans sa poche.
 Les joues du nouveau se sont empourprées.
–          Chacha, a-t-il fini par dire et la maîtresse, aussitôt, s’est empressée de corriger.
–          Sacha. On appelle ça : avoir un cheveu sur la langue. C’est très commun, surtout chez les enfants !
Charlotte voyait déjà les bouches mesquines s’étirer. Son cœur battait la chamade. Lui le cheveu, elle le grain. Quand la récréation est arrivée, elle a pris son carnet à dessins et ses crayons, comme d’habitude et comme d’habitude elle est allée s’asseoir dans un coin de la cour, loin des cris, des jets de ballons et des mots cœurs ou mord-dents. Elle terminait l’aile d’un perroquet quand elle a entendu :
–          Chalut !
Sacha s’est assis près d’elle et n’a rien dit de plus. Toute l’école les regardait avec stupeur. Même le ballon de foot, aux rebonds solitaires, a fini par s’immobiliser sur le béton. Toute tremblante, elle s’est remise à dessiner et les couleurs ont bientôt débordé des contours. C’était comme si les plumes de l’oiseau pouvaient peindre le papier autour d’elles.
Sacha est revenu pendant la récréation de l’après-midi. Il lui a demandé son nom.
–          Ch’est joli, Charlotte, il a dit. Fachile à prononcher. Tu as de la chanche.
Elle lui a répondu que s’il restait avec elle, les autres n’allaient pas le louper, il allait finir tout seul.
–          Ben non, du coup ! a dit Sacha.
Elle l’a regardé droit dans les yeux. Il y avait plein de choses dedans, des choses belles mais aussi terribles, elle le sentait. Sa bouche s’est ouverte tout rond mais elle n’a rien dit. Il lui a souri. Et tout a changé.
En allant à l’école le jeudi, Charlotte a eu mal au ventre comme jamais. Une journée sans voir Sacha. Et s’il ne lui parlait plus ? Et si elle avait rêvé ? Et s’il avait changé d’avis ? Mais il l’attendait  dans la cour de récréation:
–          Chalut Charlotte !
Il a même demandé à ce qu’ils soient à côté. Le vendredi, pendant la leçon de sciences, la maîtresse a projeté au tableau le système solaire. En regardant les satellites tourner autour de leur planète, Charlotte, la tête dans les étoiles et plus dans la lune, a compris d’un coup ce qu’était la gravité : une affaire en effet très sérieuse. Sacha et elle étaient aimantés. Et ça avait à voir, à coup sûr, avec le verbe aimer. Premier groupe.
Charlotte repense à tous ces merveilleux moments, chaque souvenir comme un bonbon qu’elle repasse indéfiniment sur sa langue. Demain, c’est mercredi, et Sacha et elle doivent jouer ensemble à la maison. Ils se sont vite rendu compte qu’ils habitaient dans le même quartier. Il n’y aura que maman, ce sera parfait. Il a dit, avant la fin de l’école :
–          On che montrera un checret chacun d’accord ?
Elle aime bien tous ses « ch » qui gomment le « s » sinueux et sournois des serpents, c’est réconfortant, comme un vent gentil dans les feuilles. « Châle » est plus doux que « sale » et « caché » plus mystérieux et moins dur que « cassé ». Elle a dit oui.
4.       
Mais le lendemain, rien ne se passe comme prévu. Sacha vient à peine d’arriver à la maison et sa maman de repartir, que la voiture de papa se gare dans l’allée. Si Charlotte veut bien révéler un secret à Sacha, ce n’est pas celui-là. Son père passe à grandes enjambées avant de s’engouffrer dans la maison, l’air furieux. Compte à rebours.
–          Qu’est-che qu’il y a ? s’inquiète Sacha.
Elle secoue la tête, les lèvres crispées. Les secondes avant l’orage, le calme avant la rage. Puis ça éclate. Ils vont tout gâcher. Le soleil disparaît à l’intérieur de la fillette, éteint par de gros nuages qui remontent en gouttes de pluie pour noyer ses yeux.
–          Tu préfères qu’on aille jouer chez moi ?
Éclaircie.
–          Attends-moi, je vais chercher mon secret et j’arrive ! dit-elle.
Elle file dans sa chambre, attrape sa boîte sous le lit. Dans le salon, c’est la guerre. Pour une fois, elle prend son courage aujourd’hui, pas à demain, et crie pour couvrir la voix de ses parents :
–          Je vais jouer chez Sacha !
Elle déguerpit avec la sensation inédite d’avoir accompli une chose extraordinaire.
–          Ch’est grave comment, tes parents ? demande Sacha quand les larmes ont cessé. Séchées.
–          Peut-être qu’ils s’aimaient avant mais ils ne s’aiment plus maintenant. Je crois que c’est ma faute. C’est comme le Petit Poucet, tu connais l’histoire ? Mes parents se sont perdus dans la forêt, mais ils n’ont pas pensé aux petits cailloux. Ils sèment plus.
Après un temps, elle rajoute :
–          Et mon papa a été mangé par l’ogre.
Ils arrivent devant la maison de Sacha : biscornue, encadrée par une minuscule bande de jardin, coincée entre des immeubles. Mais c’est joli, ça rappelle les maisons de dessins animés, se dit Charlotte. Il sort une clé de sa poche.
–          Mes parents travaillent tous les deux, explique-t-il. Comme tu m’as révélé un grand checret, je vais t’en révéler un gros à mon tour.  Tu vas voir la pièche maudite.
Le déménagement récent encombre encore l’intérieur. Dans un réduit, au deuxième étage, Sacha montre à Charlotte une pile de cartons, tous marqués du mot « Anthony ». Il descend celui-du dessus et l’ouvre : un avion miniature, un stylo plume, des posters roulés au scotch, un trousseau de clés et un paquet de cigarettes recouvrent tout un tas de bric et de broc. Un véritable trésor.
–          Ch’était à mon grand frère. Il est mort en voiture. Ch’est pour cha qu’on a déménagé. Notre maijon était devenue hantée.
Charlotte découvre alors les terribles choses que Sacha a dans les yeux. Lui aussi a des soucis avec les fantômes.
–          Mais mon papa a voulu tout garder quand même. Il ne faut pas le chupprimer encore une fois, il a dit. La pilule ne pache pas.
La fillette comprend bien qu’une pilule, c’est beaucoup plus gros qu’un grain.
Les secrets de famille sont une chose, ceux des enfants en sont une autre. Sacha tend un carnet à son amie :
–          Mon carnet des « CH » ! Dedans, j’y mets tous les mots avec le chon interdit, et je tente de trouver d’autres mots qui veulent dire pareil mais avec d’autres lettres ! J’ai entendu parler d’un livre où il n’y a pas la lettre « e », donc je peux y arriver ! Un jour, je pourrai parler normalement, chans….
–          Chans qu’on chaperchoive que tu chochotes ? hasarde Charlotte.
Et leurs rires expulsent les fantômes loin, bien loin au-delà des murs de la chambre de Sacha. La petite feuillette les pages couvertes d’une écriture appliquée où les chipolatas remplacent les saucisses, le merveilleux le sensationnel, les « je vous prie » les « s’il vous plaît ». Il connaît tant de mots… Peut-être qu’il pourra les lui apprendre, lui ?
–          À mon tour, dit-elle. Il me faut de la place. C’est ma boîte à moi, ce que j’ai de plus précieux, et personne n’est au courant.
–          Perchonne ?
–          Tu es le premier.
Elle ouvre le couvercle et, devant un Sacha ébahi, dispose sur le sol toute sa collection de couleurs. Certaines sont fragiles, il faut y faire attention : un fragment de polystyrène blanc comme neige, une fleur mauve séchée. Un lego rectangulaire orange, un morceau de laine chocolat tacheté d’or, des boutons de chemise bleu nacré… Il y a des dizaines d’objets de toutes les couleurs. Elle saisit un papier de friandise au vert étincelant.
–          On trouvait ça dans les vieilles boîtes de bonbons. J’adore. Ça s’appelait des « Quality Street ».
Toute à son affaire, elle poursuit :
–          Il faut que le morceau de couleur tienne dans la boîte. C’est la seule règle. Dès que je vois une couleur que je n’ai pas, je la récupère. Je les trouve par terre ou on me les donne. Tu vois par exemple ce carré de tissu bleu foncé ? C’est ma mamie qui me l’a donné. Elle s’en servait pour réparer les pantalons, elle m’a dit. Elle est morte elle aussi. Et le jeu, c’est de les mettre par terre et de les ranger par couleur. Ou alors, tu peux dessiner des choses si tu les arranges ensemble pour faire des formes. On peut jouer à l’infini ! Je ne m’arrêterai que lorsque j’aurai réuni toutes les couleurs du monde.
Sous les yeux du garçon, lentement, prennent forme les ailes d’un oiseau multicolore comme il en existe à l’autre bout du monde. Il n’a jamais rien vu d’aussi joli.
La mère de Sacha trouve les enfants éparpillés au milieu d’un tapis de babioles chamarrées. Il est l’heure de raccompagner Charlotte ! Les trésors colorés sont rangés dans la boîte aux merveilles.
–          Attends une minute ! dit-il, disparaissant quelques instants dans la pièce maudite avant de revenir, satisfait. On peut y aller !
 
5.       
Sur le chemin, ils discutent si bien que leurs sens restent aveugles à la catastrophe. Ils ne perçoivent ni l’odeur, ni les sirènes. C’est au détour de la dernière rue seulement que le terrible spectacle s’offre à leurs yeux. Des flammes gigantesques, sorties tout droit des entrailles de la terre, dévorent la maison de Charlotte, faisant mine de s’attaquer au ciel. Ça crépite, ça s’écroule, ça craque et ça gronde. Les pompiers sont comme des fourmis combattant un monstre. Charlotte court, les couleurs brinquebalant dans sa boîte qu’elle ne veut pourtant pas lâcher. Un policier l’arrête.
–           Pas plus loin les enfants ! C’est dangereux ici !
Charlotte, pétrifiée, ne peut pas parler. Sacha s’avance bravement.
–          Ch’est cha maijon.
L’expression autoritaire de l’homme est comme balayée par un coup de vent. Il ne peut cacher le choc. Charlotte voit tout dans ses yeux, tout ce que les mots du policier vont chercher à ne pas lui dire, tout ce que les mots vont essayer de contourner, d’atténuer, d’esquiver. Les traîtres.
–          C’est ta maison ? répète-t-il, effaré.
Il bat en retraite pour trouver un adulte plus responsable que lui, qui saura que faire, parce que même les grandes personnes font ça.
–          Charlotte ? appelle Sacha.
Elle le regarde. Dans ses yeux si vastes elle voit les flammes qui dévastent, du chagrin. Cha, grain. Le « ch » de Sa-cha avec son grain. Et dessous, les belles choses. Oui les belles choses. Il fouille dans la poche de sa veste, en sort un parapluie miniature, de ceux qu’on met dans les verres quand on est chic. Le garçon déploie la petite ombrelle aux couleurs de l’arc-en-ciel et la lui tend.
–          Ch’est un cadeau pour toi. Pour ta boîte. Ch’était à mon frère.
Puis il lui prend la main. Elle la serre fort tandis que trois hommes à la mine grave s’avancent vers les enfants.
 
 
 
 

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