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Prix Talents Nouveaux Auteurs au Festival Arcomik de Saint-Étienne !

https://www.leprogres.fr/culture-loisirs/2021/10/26/arcomik-une-soiree-dediee-aux-talents-nouveaux

Lundi 25 octobre 2021, dans le cadre du festival Arcomik, avait lieu la soirée dédiée aux Nouveaux Talents. Eh oui, il faut bien assurer la relève! Les organisateurs, bien avisés, ont créé deux catégories pour ce concours: artistes de stand-up ET auteurs! Car il y a toujours une plume à l’oeuvre dans l’ombre d’un spectacle!

Nous étions trois auteurs à avoir été sélectionnés pour la finale: Cécile Michel (en haut à gauche), Philippe Naas (à mes côtés) et moi-même:

Au premier rang, les comédiens de la Comédie de Saint-Étienne qui ont interprété nos textes: Maybie Vareilles, Brahim Koutari et Valentin Clerc.

À l’issue de la soirée, j’ai eu le plaisir (que dis-je, l’immense plaisir!) de remporter le trophée Nouveaux Talents – Auteurs grâce à mon texte « Qui peut le plus peut le moins », porté avec cœur et justesse par Valentin Clerc! Je l’en remercie chaleureusement.

Merci Valentin! Tu as été au top! Merci à l’organisation! Merci à toutes celles et ceux qui ont porté mon histoire et salut à mes deux concurrents dont les textes étaient de petits bijoux d’humour!

Pour celles et ceux qui ne connaissent pas « Qui peut le plus peut le moins » (avis aux amateurs de jeux de mots!) le voici:

Qui peut le plus peut le moins

La situation était apocalyptique. Cela engendra un phénomène rarissime : les États Généraux des Chiffres. Tous avaient reçu une convocation de la part du Zéro. Le Un était arrivé le premier, bien entendu. Les autres avaient suivi dans un ordre rigoureux, jusqu’au Neuf dont la marque de fabrique était d’arriver bon dernier.

Quand ils furent tous au complet, installés dans le Rapporteur – un amphithéâtre en demi-lune -, le Zéro prit la parole.

– Mes chers pairs et impairs. La crise à laquelle nous devons faire face est sans précédent. Vous le savez, les humains ont toujours eu besoin de nous pour s’organiser. C’est la raison d’être des séries numériques que nous avons agencées pour eux : numéro d’identité, fiscal, de sécurité sociale, numéro de compte en banque, de téléphone… Hélas, notre méthode a failli. Les rapports de nos collègues, les Datas, sont alarmants : l’effondrement est imminent. Peut-être avez-vous eu vent de ces données cataclysmiques ?

Le Zéro prit le temps d’égrener tous les périls de l’ère anthropocène : crise environnementale, inégalités, guerres, épidémies…  Un à un, les neuf Chiffres s’affaissèrent. Comment les humains avaient-ils pu en arriver là ? Leur moral était proche de zéro. Celui-ci reprit :

-Mes amis, il n’est jamais trop tard pour agir ! Nous devons trouver le dénominateur commun de ces problèmes. J’ai donc convié les Opérations arithmétiques à notre réunion. Tour à tour, elles nous présenteront leurs conclusions. Nous pourrons ainsi élaborer un plan d’attaque.

-La démarche est excellente, intervint le Quatre qui adorait les choses carrées.

C’est quitte ou double, nuança le Deux dont la tendance manichéenne était connue de tous. 

-Tout le monde est-il d’accord avec le déroulé des événements ? s’enquit le Zéro.

Un Nombre s’abstint de lever la main. Désabusé, le président de l’assemblée soupira. Évidemment, c’était toujours le même !

-Oui, le Neuf ?

Ce dernier répondit d’un ton vindicatif, vexé encore, semblait-il, par une querelle ancienne :

-Vous avez besoin de mon avis ? Et depuis quand vous intéresse-t-il ?

-Oh non ! Pas encore ! s’écrièrent les Chiffres en chœur.

Amer depuis toujours d’être toujours le dernier, le Neuf avait de surcroît très mal digéré l’éviction de Pluton du système solaire : elle n’en était plus la neuvième planète. Un coup monté, pensait-il, pour le mettre à l’écart. Le Zéro s’efforça de rassurer son confrère :

-Nous avons besoin de toi. L’équation est suffisamment complexe, tu ne trouves pas ?

-La preuve par Neuf ! glissa le Huit, qui était un drôle de numéro.

Toute la rangée éclata de rire, sauf le Neuf bien entendu, et le Zéro qui se mit en colère :

-Je vous rappelle que l’heure est grave !

Elle l’était, en effet. Tous reprirent leur sérieux. Ce fut l’Addition qui inaugura la séance. Elle était perçue comme la première des Opérations arithmétiques. À l’instar du Un, sa suprématie la rendait arrogante. Elle entra dans le Rapporteur le menton relevé. Tous admirèrent sa beauté. Il faut dire que l’Addition s’était mise sur son trente-et-un. Selon elle, il fallait que les humains travaillent plus. La croissance permettrait à la technologie de résoudre le problème écologique. À la fin de sa tirade, elle s’en fut sans autre forme de procès. Puis le Zéro annonça l’entrée imminente de la Multiplication, ce qui souleva des exclamations de joie. Ce personnage fantasque pouvait concevoir des idées aussi brillantes qu’ubuesques. C’était elle qui avait pensé aux tables, afin de favoriser l’apprentissage mathématique des jeunes humains. Mais lorsqu’elle avait évoqué, pour résoudre le problème de la malnutrition, la multiplication des petits pains, beaucoup s’étaient moqué. Cela lui avait valu le sobriquet d’« Opération du Saint Esprit ».

Son intervention, ce jour, fut loin d’être cocasse. Elle dressa un constat des plus pessimistes. Tout s’était démultiplié : populations, crises, dangers.

-Je n’en dors plus la nuit… murmura-t-elle.

Elle avoua qu’elle n’avait aucune solution et s’en fut, les larmes aux yeux. Sa prestation sidéra les Nombres. Ils accueillirent la Division avec une triste mine. Cette dernière ne manquait pas d’intelligence : on lui devait la division du travail. Elle pouvait également se montrer très sournoise : le spectacle d’une dispute faisait poindre sur son visage un rictus satisfait. Les dividendes, dont elle était l’instigatrice, avaient par ailleurs accru la fracture sociale. Il fallait donc l’écouter avec prudence. Lorsqu’elle plaida pour un repli des communautés humaines à l’intérieur de leurs frontières, les Chiffres surent que ce n’était pas sur elle qu’il fallait compter. Ils se lamentèrent. Tout était perdu.

-Attendez, dit le Neuf. Il reste encore la Soustraction !

La dernière des Opérations arithmétiques avait fort mauvaise réputation. Elle était associée depuis toujours à une valeur négative, à l’inverse de l’Addition à qui l’on rendait tant d’égards. La Soustraction frappa trois coups timides à la porte du Rapporteur et trottina jusqu’au pupitre. Quand elle s’exprimait, elle avait toujours l’air de s’excuser. Pourtant ce jour-là, elle parla d’une voix résolue :

-Je ne vais pas y aller par quatre chemins, commença-t-elle. Vous vous êtes laissé avoir par les charmes de l’Addition. Regardez les humains! Toujours plus de conquêtes, de profits ! Ils ne voient de valeur que la valeur ajoutée ! La tyrannie du « plus » a fait d’eux des bêtes de somme ! Ils perdent leur temps à vouloir le gagner ! Ce faisant, notre planète se transforme en ensemble vide !

La Soustraction se cacha la bouche d’une main. Elle reprit après un silence :

-Pardonnez ce ton. Mais ces inégalités ne sont que le reflet de celles qui se sont instaurées ici. Monsieur le Un, vous n’êtes pas prince ! Et vous le Neuf, vous valez plus que ce que vous pensez ! Moi-même…  Je ne suis pas qu’un signe de la négation !

Tous les Nombres se mirent à fixer la Soustraction. Leurs yeux s’écarquillèrent: incroyable ! Elle était aussi un trait d’union ! Voyant qu’ils commençaient à comprendre, l’Opération continua :La solution est simple. Nous manquons cruellement d’équilibre. Nous naviguons du « trop » au « pas assez » sans mesure aucune. Nous devons tous également nous considérer. Quant aux humains, ils n’ont pas besoin de tous ces objets intelligents, connectés, de ces produits qui doivent les rendre plus beaux, plus jeunes, plus gais. Au contraire, ils manquent de solidarité.

-En plein dans le mille ! s’écria le Neuf.

Le Six, tout retourné, se rangea de l’avis du Neuf. Bientôt, tous les Chiffres applaudirent la Soustraction dont les joues rosirent sans retenue. Le Zéro, ému par ce discours, lui demanda si elle avait quelque chose à rajouter.

-Oui. Nos sciences sont devenues trop dures. Que diriez-vous, à notre prochaine assemblée, de convier aussi les Lettres ? Elles ont certainement leur mot à dire…

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